mercredi 12 novembre 2008

Rencontre avec Denis Héroux, le 6 novembre 2008



Nous nous retrouvons pour déjeuner à côté de l’Université de Montréal, où il a lui-même été étudiant au début des années 60, et où il enseigne le cinéma et la production pour cette session. Je lui parle un peu de ma thèse, des films que j’étudie, des cinéastes que j’ai déjà rencontrés.

DH: Vous avez rencontré Michel Brault alors. J’ai tourné avec lui mon premier film, Seul ou avec d’autres. J’étais ici, à l’Université de Montréal en 1962. C’est là que j’ai rencontré Denys Arcand et Stéphane Venne. Nous étions tous les trois étudiants en histoire. Je faisais aussi un peu de littérature mais j’étais plus intéressé par le cinéma. Ce qui me passionnait évidemment à cette époque là c’était la Nouvelle Vague. Avec Arcand et Venne, nous étions très impliqués là-dedans. Michel est allé faire un film là-bas, comme caméraman avec Jean Rouch, sur Chronique d’un été. Il y avait un changement technologique important. La caméra devenait portable. C’était une accélération au cinéma, beaucoup plus concrètement que la Nouvelle Vague telle qu’on la recevait nous ici.

ALP: Pourquoi avoir fait appel à Michel Brault pour Seul ou avec d’autres?

Quand on a décidé de faire un long métrage, nous étions à la recherche de la meilleure équipe. Nous étions de jeunes étudiants de vingt ans, on ne connaissait pas beaucoup la technique. Là j’ai vu un grand article dans le journal La Presse qui disait : « Michel Brault, le meilleur cameraman au monde ». C’est Jean Rouch qui avait donné une entrevue dans laquelle il disait que Michel était exceptionnel. J’avais cinq sous et je me suis rendu dans une cabine téléphonique de l’université. J’ai appelé l’ONF, j’ai eu Michel et je lui ai dit que l’on voulait qu’il soit notre cameraman. Il m’a demandé pourquoi je l’avais choisi. Je lui ai expliqué que j’avais lu qu’il était le meilleur au monde et que je voulais le meilleur au monde ! Il était tellement surpris qu’il nous a proposé de venir rencontrer l’équipe de l’ONF d’abord. Tous les cinéastes québécois étaient là. Avant l’ONF était à Ottawa et il n’y avait pas de cinéastes québécois. Puis l’ONF a déménagé à Montréal et les cinéastes québécois sont devenus très désireux de véhiculer l’image de leur cinéma. Avant il n’y a avait pas d’image, il n’y avait plus de films.

Au moment où vous avez réalisé Seul ou avec d’autres, personne n’avait déjà manifesté l’envie de faire des films ?

Il y a eu un certain nombre de films français qui étaient tournés au Québec. D’abord au temps du muet. C’étaient des américains ou des français qui venaient tourner. Puis des films principalement français dans les années 50. Et puis il y a eu des coproductions comme Un homme et son péché, Aurore l’enfant martyre. Le cinéma québécois était fait par des étrangers surtout. Quand on arrive en 1962, il n’y a plus de films. Michel et son équipe, quand je les ai approchés, faisaient des courts métrages documentaires qui jouaient en salle en première partie de films étrangers ou bien des films pour la télévision. Nous leur avons exposé notre projet de réaliser un long métrage pour les salles de cinéma. Et ça les intéressait. Michel à ce moment là réalisait un film avec Pierre Perrault, Pour la suite du monde. Ils étaient intéressés de filmer toutes sortes de sujets, dans le milieu de la lutte, dans le milieu de la boxe, à Saint-Henri. Ils n’avaient pas de projets sur le milieu universitaire. Ils se retrouvaient donc dans un milieu un peu plus bourgeois, un peu plus intellectuel. Et ce film là, Seul ou avec d’autres, est parti au festival de Cannes. Stéphane Venne et moi n’avions jamais mis les pieds en France. Cette année là, Pour la suite du monde était en compétition officielle et Seul ou avec d’autres était invité par la Semaine de la critique. Quand je suis revenu, je ne savais pas quoi faire avec mon film parce qu’il n’y avait pas de distributeur québécois. J’ai donc été obligé de louer une salle de cinéma.  Il fallait rejoindre le public. Les spectateurs pouvaient enfin voir un film différent.

Le film a-t-il rencontré du succès ?

Un certain succès. Le film a eu 30 000 spectateurs en un mois, qui étaient des étudiants principalement. Le bouche à oreille fonctionnait bien. Je l’ai ensuite vendu à Radio-Canada qui l’a diffusé un dimanche soir à 23h dans un ciné-club. Mais il faut dire qu’il y a eu un drame dans un premier temps. J’ai laissé la seule copie 35 mm[1] du film à Henri Langlois à la Cinémathèque française parce qu’il voulait faire une rétrospective des films de Cannes. Langlois était un homme extraordinaire mais absolument désordonné. Et on n’a jamais retrouvé la copie. Donc pendant 40 années il n’y a plus eu de copie de projection. L’année dernière, la Cinémathèque québécoise a décidé de faire une nouvelle copie, que Michel a personnellement supervisé. Il y a également eu une édition DVD. J’ai essayé de faire un autre film à l’université l’année d’après qui s’appelle Jusqu’au bout, qui parle du FLQ, scénarisé par Denys Arcand. On interviewait des gens très actifs dans le milieu. Arcand à ce moment-là écrivait pour la revue Parti pris. Mais on n’était pas très branchés là-dessus, c’était assez idéaliste. Le film a joué dans une salle de cinéma mais l’alchimie n’a pas fonctionné comme pour le précédent. Le film a été déposé à la Cinémathèque et justement Pierre Véronneau aimerait que l’on remette de l’ordre dans les bobines en vue de le masteriser.

Et il n’existe pas de copie vidéo ?

Non. Il  y a des copies qui ont circulé, comme pour Seul ou avec d’autres. Ça m’a permis de réfléchir à une forme de cinéma populaire. Le public québécois ne pouvait pas comparer les documentaires de chez nous aux films de fiction étrangers. Il y avait une sorte de conflit entre le cinéma de l’ONF, avec des documentaires dirigés d’une certaine façon et un autre courant de fiction populaire avec des objectifs complètement différents.

Il est intéressant de noter que nous étions, avec Arcand et Venne, tous les trois étudiants en histoire. A ce moment-là, avec le début de la révolution tranquille, il y a eu une sorte de réinterprétation de l’histoire. Toutes les valeurs traditionnelles ont été balayées. Il y avait une volonté de ne pas faire l’histoire comme les religieux l’avaient faite auparavant. Le chanoine Lionel Groulx racontait l’histoire du Québec en créant des héros qui ne l’étaient pas forcément au départ, Madeleine de Verchères, Dollard des Ormeaux. On avait une histoire qui était complètement faussée par cette interprétation. Quand j’ai décidé de faire un film « historique », je n’ai pas voulu créer un héros.

Est-ce que vous avez bénéficié d’une éducation religieuse à l’école ?

A l’école oui. Quand j’arrive à l’université en 1960, c’est une vraie révolution puisqu’il y a un débat sur les valeurs québécoises. C’est pourquoi quand je fais un premier film érotique c’est dans la continuité de ce débat. C’est d’ailleurs Arcand qui avait trouvé le slogan[2] ! Il n’y avait pas de films à ce moment-là qui nous reflétaient dans les salles de cinéma. Et puis il y avait un débat sur la nudité puisqu’Hiroshima mon amour avait été censuré. On vivait sous une grande pression religieuse. Quand Seul ou avec d’autres sort, le recteur de l’université qui était un curé, voulait couper des scènes, avant même de l’avoir vu. Alors même que le comité de censure l’avait approuvé. Mais j’étais étudiant et je diffusais le film à l’université alors il fallait le contrôler.

Avez-vous du affronter la censure à un moment ? Pour Valérie par exemple ?

Pour Valérie je n’ai pas eu à l’affronter parce qu’il y avait un grand mouvement au Québec à ce moment-là. Il y avait un personnage brillant qui s’appelait André Guérin, qui était responsable de la Régie du cinéma. Après la censure d’Hiroshima mon amour, nous avons manifesté et le gouvernement a décidé de changer de système. Guérin était très content de ce que je faisais. Les gens ne considéraient pas que c’était de la provocation. Il n’a pas été censuré et on m’a encouragé à le défendre sur la place publique. Il était simplement interdit aux moins de 18 ans. Les religieux étaient mes meilleures publicistes d’ailleurs ! Il suffisait qu’ils écrivent un article pour le déconseiller et les salles se remplissaient. La révolution tranquille commençait à ce moment-là. Une révolution différente de celle qui se déroulait en France. Le Québec a été étouffé pendant longtemps.

Oui, je le ressens beaucoup à travers le cinéma de cette époque. Arcand en parle beaucoup lui aussi.

On était de cette génération là tous les deux. Et nous avons une formation historique tous les deux. Mais moi contrairement à lui je me suis désintéressé très vite de la Nouvelle Vague pour me tourner vers un cinéma français beaucoup plus classique. Quand j’ai fait Valérie, je l’ai tourné comme un film grand public conventionnel.

Vous dites qu’après Valérie vous avez été « obligé » de faire le même film quatre fois

Quand j’ai fait Valérie c’est vrai que j’ai immédiatement voulu en faire un autre en couleurs. J’avais demandé à un très grand romancier québécois, Yves Thériault, qui était très bien perçu, de m’écrire le scénario.  Pour le troisième je me suis inspiré de mon éducation religieuse. Le collège Saint-Marie où j’avais enseigné à l’Université, c’étaient des jésuites. Et pendant que j’étais là, entre la sortie de Valérie et l’Initiation, la moitié des curés avaient défroqué. J’ai donc fait un film là-dessus, qui s’appelait L’amour humain, qui racontait l’histoire d’un curé tellement torturé qu’il défroque lui aussi. C’est vrai que j’ai tourné quatre fois le même film qui tournait toujours autour de la même obsession.

Vous aviez trouvé la recette qui plaisait au public et vous aviez envie de continuer à la livrer ?

Absolument ! Et puis j’ai appris le cinéma sur le dos du public, j’ai appris la technique sur le dos des autres. Et puis à vingt ans je n’avais peur de rien. Et puis j’étais en pleine réflexion sur ce que j’avais envie de faire. En réalité, quand je suis arrivé à Quelques arpents de neige j’avais l’impression que j’allais réussir à dire davantage ce que j’avais envie. J’avais envie d’abandonner le film érotique et la comédie. En 1760, quand le Québec passe aux mains des anglais, nous ne sommes pas nombreux, nous sommes 60 000 personnes. Les Etats-Unis contrairement à nous se sont peuplés très vite. Personne ne venait au Québec pour des raisons très simples : il faisait trop froid. Les gens qui voulaient cultiver partaient vers le sud, faire la culture du coton et du tabac. Ceux qui avaient fondé la Nouvelle France c’étaient des religieux. Ils avaient une mission, ils apportaient le catholicisme à l’ensemble du continent. Quand les anglais s’emparent de la Nouvelle France, ils sont très nombreux et le premier bateau français qui reviendra au Québec n’arrivera qu’un siècle plus tard. Mais nos familles font vingt enfants. Les anglais font une entente absolument formidable avec le clergé. Il y a eu une espèce de décapitation sociale. Les français qui faisaient partie de l’administration de l’époque retournent en France. Il ne reste donc que le petit peuple, les ruraux, les religieux. Le clergé négocie donc avec les anglais l’obéissance du peuple français en échange de la liberté de culte et de la culture, la langue. Les anglais achetaient la paix et instauraient en même temps le parlementarisme.

La révolution de 1837 d’ailleurs est menée par des gens issus de milieux populaires, qui sont devenus députés et qui se disaient qu’ils étaient désormais assez nombreux pour se débarrasser des anglais. C’est une révolution d’une nouvelle classe bourgeoise. C’est quelque chose que j’aurais aimé faire passer mais ce n’est pas évident.

Est-ce que c’était votre idée initiale du film Quelques arpents de neige ?

Je me suis dit que j’allais raconter une histoire en étant fidèle à ce que je suis. Il fallait que ce soit une histoire populaire, donc un milieu dramatique. Je voulais une histoire d’amour. Je devais m’intéresser plus à cette histoire d’amour qu’à l’exposé politique. Mais en même temps je voulais encrer ces personnages dans l’Histoire. C’est pourquoi l’héroïne principale a un père bourgeois, député à Montréal, qui a envie de se rebeller contre les anglais puisqu’il fabrique des vêtements ici alors qu’on importe des vêtements d’ailleurs. Cette jeune fille est promise à un fils d’avocat mais tombe amoureuse d’un nomade, d’un coureur des bois.

Justement, je n’arrive pas à comprendre ce personnage, celui de Simon, il semble traversé par l’Histoire.

Oui, ça, c’est mal installé. Moi il m’intéressait parce qu’il est un sédentaire avec un côté coureur des bois, donc nomade. On a quand même réussi un changement brusque au début du XXème siècle. Le Québec était à 85% rural et à 15% urbain. Après la deuxième Guerre Mondiale, le rapport s’inverse. J’avais trop d’objectifs certainement pour raconter l’histoire, mais c’est vrai que cette fille cultive un certain romantisme, elle a été élevée dans un couvent, dans la bourgeoisie. Le nomade lui, ses parents étaient propriétaires d’un maison, qu’ils ont été obligés de soumettre à l’encan. Cet homme ne peut pas avoir une relation sédentaire, amoureuse. Il repart donc vers les bois, poursuivi. Il sent qu’il doit participer à la révolution mais il n’est pas un leader, il n’est pas politisé. Comme les québécois d’ailleurs. Au moment où moi je fais ce film dans les années 70, il y a un groupe minoritaire de gens qui sont violents, politisés. Ils sont très minoritaires, il faut faire attention. C’est pour ça dans le fond que même quelqu’un comme Sarkozy aujourd’hui a très bien compris que les deux votes sur la souveraineté n’ont jamais fonctionné, que finalement cette question ne passe pas. Quand on demande aux québécois si ils veulent être souverains, au dernier moment ils ne veulent pas.

La deuxième fois, c’était tout de même assez serré.

Oui, mais c’est toujours serré. Et puis finalement ce nomade quand il peut passer du côté américain, il décide de se suicider. Cette prédominance américaine, c’est interprété assez différemment ici, on est quand même des américains qui parlent français, des français qui vivent en Amérique. Je pense que les français, quand ils regardent le Québec d’une façon très romantique, ils les voient comme des français vivant en Amérique.

La seule fiction historique que vous décidez de réaliser n’a pas une vision très glorieuse des québécois

Je pense que c’est lié à notre génération à Arcand, Venne et moi. On est plutôt des gens cyniques et pessimistes. Arcand l’est encore plus que moi, je crois. Je pense que son dernier film L’âge des ténèbres le montre bien. Et c’est ce qui explique qu’il n’a pas marché, parce qu’il a une vue très déprimée de la société québécoise, tout comme moi, c’est certain. Il y a des choses que l’on traîne depuis trop longtemps qui n’ont pas été réglées. Et je ne suis pas sûr qu’on va nécessairement les régler parce qu’il a y la perception du passé et comment on se raconte le passé. Il y a beaucoup d’ambigüités. Nous sommes un petit pays, nous n’avons pas la masse critique suffisante pour être un pays qui se donne les ambitions qu’on recherche. Finalement mon film partait dans trop de directions différentes. Je n’étais peut-être pas la bonne personne. C’est aussi pour ça que j’ai eu envie de faire Les Plouffe juste après. Je pensais y arriver mieux de cette façon là.

Vous referiez Quelques arpents de neige différemment?

Oui c’est certain. Même si le film a eu un bon accueil auprès du public, parce que je leur racontais une histoire qui les touchait. Mais ça ne veut pas dire que les objectifs étaient atteints. Après la Révolution tranquille les gens sont devenus individualistes et plutôt préoccupés par le présent que par le passé, même si le Québec transporte sur la plaque de sa voiture « Je me souviens ».

Ça n’apparaît peut-être pas au cinéma mais je trouve qu’il y a un certain patriotisme ambiant. Moi lorsque je suis arrivée au Québec, sans curiosité particulière pour l’histoire politique, j’ai l’impression qu’on m’a véhiculé beaucoup d’informations. Et je parle également des jeunes.

Absolument. Les jeunes sont plus à l’aise avec ça. Moi je traîne une culpabilité plus grande parce que j’ai eu le pouvoir religieux sur le dos avant les 20 ans. Les jeunes n’ont pas d’inquiétudes. Ils s’exportent en France ou ailleurs. Je peux prendre l’exemple du Cirque du soleil, de Céline Dion. Les québécois peuvent partir à la conquête du monde. La structure française est plus difficile pour des jeunes. Quand j’avais 20 ans, au lendemain de Cannes, j’ai frappé à la porte de tous les producteurs parisiens. Je me suis dit que je reviendrai dans dix ans et qu’ils accepteront tous de travailler avec moi. C’est ce qui s’est passé. J’ai appelé les plus grands réalisateurs. Rien ne m’a arrêté. Mais je me suis rendu compte que si j’étais né en France, en Espagne ou en Italie, je n’aurais pas pu faire ce que j’ai fait. Au Québec, rien ne m’en a empêché. Le Québec c’est ce qui permet. Il n’y a pas de régime de succession comme en France. Dans les années 60, absolument tout était possible. Et je pense que c’est toujours le cas aujourd’hui. Les batailles que nous avons menées pour développer une industrie cinématographique ont porté leurs fruits. Il y a une grande créativité au Québec.

Il y a aussi moins d’intermédiaires entre les gens. On peut facilement approcher quelqu’un, s’entretenir avec lui.

Mais en même temps c’est difficile. Je remarque, et ça a du vous frapper, que les québécois vous reçoivent très généreusement au début mais que l’hiver arrivant, vous pouvez passer six mois avant d’en revoir d’autres. Ils sont ouverts mais ils se referment aussi parfois, non ?

Peut-être, mais cela reste dans une moindre mesure par rapport à la France…

… On est pas invité à déjeuner facilement en France !

C’est sûr ! Et ici lorsque je veux joindre quelqu’un on me donne la totale : mail, cellulaire, téléphone du domicile, j’ai presque l’impression de faire intrusion dans leur vie privée. Il faudrait un niveau de confiance incroyable pour obtenir la même chose en France. Il y quelques semaines j’ai assisté à une classe de maître de Denys Arcand à la Cinémathèque. C’était un samedi après-midi et ça coûtait seulement 15$. Et il y avait seulement 25 personnes. Et c’est censé être l’un des cinéastes québécois les plus prolifiques, les plus respectés, l’ambassadeur à l’étranger. C’est sans doute pourquoi on peut facilement approcher les cinéastes, c’est parce qu’ils ont peu de reconnaissance, qu’ils sont peu sollicités, je crois.

Il n’y a pas de star system, parce que ce qui est la star c’est le système. Le cinéma est le star system. Les gens n’ont pas d’attrait pour les cinéastes, les réalisateurs. Je suis sûr que si vous avez rencontré Pierre Falardeau par exemple c’est quelqu’un qui doit se sentir très seul, parce qu’il déclare des batailles.

Seul je ne sais pas mais il a l’air un peu découragé en tous cas. Il n’a plus l’air de vouloir encore tenir son rôle et puis il ne reçoit pas suffisamment d’appui. Mais ça a l’air d’être une bataille, même pour lui, de parvenir à monter un projet. Ça aussi c’est quelque chose d’un peu difficile à comprendre pour moi, qu’il soit si difficile d’investir sur lui, qui a fait ses preuves.

Il y a deux choses. La première est une question de masse critique. En France vous êtes 60 millions, ici elle est insuffisante. Moi si j’ai un sujet et que je vais voir Super Écran, que je parle avec eux pendant trois heures, ils me donnent 40 000 $. Quand j’allais voir Pierre Lescure à Canal+ et que je parlais trois heures avec lui, il me donnait 1,5 Millions d’euros. J’étais le même Denis Héroux, mais c’est une question de masse critique. En deuxième, quoi que l’on pense les systèmes qui sont mis en place au Québec et en France sont les mêmes. Il arrive au Québec que les financements publics couvrent un film à hauteur de 75%.  Pour les autres pays c’est entre 15% et 60%. On sort tout de même une trentaine de films par année ce qui est beaucoup, mais on a pas plus de ressources que ça. Donc quelqu’un qui a fait un film devra attendre plusieurs années avant d’en refaire un autre si il veut être financé, parce que la masse critique ne nous permet pas de faire autrement. Malgré que vous soyez plus nombreux, vous pouvez constater que le cinéma d’Arts et d’essai n’est plus financé en France. Il y a des gens qui étaient habitués à bénéficier du système d’aide et qui n’ont plus rien. Parce que le goût du public a changé également.

Pouvez-vous me parler de votre collaboration au film Black robe ?

J’avais développé une amitié très ancienne avec l’auteur du scénario, Brian Moore. C’est lui que j’avais été chercher pour l’adaptation du Sang des autres[3] de Simone de Beauvoir pour HBO. On s’écrivait régulièrement. Je lui suggérais des idées parfois. Je lui avais suggéré les Relations des jésuites. C’est comme ça que j’ai commencé. Il a donc écrit ce bouquin qui a été très bien reçu. Beaucoup d’intellectuels, de metteurs en scène, l’achètent et veulent le réaliser. Il y avait Atom Egoyan qui était très intéressé. Finalement on a organisé une rencontre entre Brian Moore, Atom Egoyan et moi. Je lui demande donc pourquoi il veut l’adapter. Là, pendant une heure, il commence à décrire la façon dont il tournerait les scènes de torture. Brian était incapable de se lever après ça. Il avait imaginé toute cette histoire, et la description que lui en faisait David ne collait pas. Il n’a pas voulu travailler avec lui. C’est là que je suis parti chercher Bruce Beresford. Alors que j’avais signé le metteur en scène et réunit le financement, j’ai décidé de quitter Alliance. Je voulais réorienter ma vie.

Et votre expérience sur la série La Feuille d’Érable ?

J’ai aimé cette expérience. C’était une production française, le scénario était écrit, les comédiens étaient choisis. J’avais juste à arriver et à tourner. J’ai fait deux épisodes. Pour le deuxième j’ai pris un peu plus de liberté à l’intérieur de l’histoire. Et je me souviens quand Gilles Vigneault a fait la musique, il a commencé par le premier et il n’a rien dit. Il a ensuite visionné le deuxième, il m’a fait venir et il m’a dit « Tu t’es forcé un peu pour une fois là ?.. ». Et il m’a fait une musique absolument formidable. C’est à peu près le seul souvenir que j’ai. L’intention était intéressante, le fait de vouloir faire connaître au reste de la francophonie cette histoire. Mais c’était une perception plutôt française. Et même si une partie de l’équipe était québécoise, les connexions n’étaient pas évidentes. Les français et les québécois vivent dans deux mondes différents, ils ne se comprennent pas. Au niveau de la culture et au niveau de l’accent.

C’est toujours un peu délicat. On parle la même langue et on a un passé commun alors on s’imagine toujours qu’on est les peuples les plus proches. Ce qui est faux.

Quand on est québécois et qu’on veut s’ouvrir sur le marché international, il faut produire un film en anglais. Quand on le présente en français on s’aperçoit que ce n’est même pas le bon français qu’on utilise. C’est pour ça que lorsqu’on a fait La guerre du feu c’était idéal, il n’y avait pas de langue ! Bien sûr, il y a des exceptions, des succès. Mais l’exception ne peut pas devenir la règle.

 



[1] Le film avait été tourné en 16 mm puis gonflé en 35 mm.

[2] « Déshabiller la p'tite Québécoise»

[3] Réalisé par Claude Chabrol en 1984.

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