mardi 20 janvier 2009

Rencontre avec Jean-Pierre Lefebvre à l'ARRQ, le 13 novembre 2008

Je rencontre Jean-Pierre Lefebvre, pour lequel j'ai une très grande admiration, dans les locaux de L'Association des Réalisateurs et Réalisatrices du Québec, dont il est actuellement président. Je lui raconte un peu mon parcours, lui parle de mes recherches et de son film que j’étudie, Les maudits sauvages.

ALP : J’ai pour habitude de commencer mes entretiens en demandant aux réalisateurs quels souvenirs ils gardent de l’enseignement scolaire de l’histoire.

JPL : Je montrais justement à mes étudiants ce matin l’édition de 1964 du livre d’apprentissage de l’histoire qui s’appelait Histoire de la civilisation française et catholique du Québec. C’est vous dire à quel point la France et la religion catholique avaient encore une place importante. L’histoire qui nous a été enseignée n’existe pas vraiment. C’est une histoire qui faisait l’affaire du clergé enseignant surtout. On nous a inventé des paquets de héros qui sont tous plus contestés les uns que les autres maintenant, que ce soit Dollard des Ormeaux, que ce soit Madeleine de Verchères. On en faisait des icônes morales dont on devait suivre l’exemple. Il s’est avéré avec le temps que l’exemple n’était pas nécessairement le bon. C’est donc une histoire qui a constamment fait fi des réalités historiques, qui a ignoré les civilisations qui existaient ici, les civilisations amérindiennes. Les européens sont arrivés avec l’idée d’imposer leur culture, leur religion, et tout ce qui ne correspondait pas à leurs idéaux était condamnable. J’ai par exemple une collection de récits de missionnaires qui sont atroces à lire, parce qu’on traite tous les amérindiens de paresseux et de lâches. On les traitait ainsi parce que, par exemple, quand ils avaient suffisamment de récoltes pour l’hiver, ils arrêtaient de travailler. On les traitait de lâches parce que devant quarante militaires français avec des mousquets, dix amérindiens avec des arcs et des flèches décidaient de ne pas engager le combat, parce qu’ils tenaient à leur survie. Donc toute notre histoire est un beau mensonge inventé, c’est pourquoi dans Les maudits sauvages, j’ai décidé d’inventer  ma propre histoire à propos des faux mythes qu’on m’avait enseignés.

L’enseignement scolaire de l’histoire portait essentiellement sur la Nouvelle-France ?

Ca portait essentiellement sur la Nouvelle-France, oui. D’ailleurs, la seule autre culture valable aux yeux des enseignants et des communautés religieuses, c’était la culture française. Même dans les années 50, on riait de Félix Leclerc qui fredonnait « Les crapauds chantent la liberté ». Ce n’était pas de la poésie comme Victor Hugo. Il a donc fallu attendre la fin des années 50 et le début des années 60 et l’explosion des communications pour commencer à se rendre compte des mensonges véhiculés dans l’enseignement de l’histoire. C’est à ce moment là qu’on a voulu redécouvrir nos racines.

Comment fait-on pour se réapproprier l’histoire quand un modèle d’enseignement a perduré si longtemps ?

Il y a tout de même une histoire objective qu’on a commencé à creuser. Il y a des faits extrêmement importants. Après la Conquête anglaise – même si on ne veut plus employer ce terme désormais, alors qu’il y a eu une prise de possession – une grande majorité d’aristocrates et de bourgeois français sont retournés en France et il y a eu 60 000 colons qui sont restés, dont la très grande majorité étaient des gens très proches des amérindiens, des gens qui avaient adopté les méthodes de vie des amérindiens. Il y a beaucoup plus de métissages qu’on ne le croyait, malgré l’interdiction de l’église catholique d’enregistrer les baptêmes d’enfants issus de métissages entre blancs et amérindiens. Si on pouvait évaluer le niveau de métissage on se rendrait compte qu’il est extrêmement important. Voilà, ça fait partie des choses qui existent mais qui sont restées cachées pendant longtemps, comme tellement d’autres choses ici. Vous savez, la censure est omniprésente. Ce n’est qu’en 68 qu’elle s’est ouverte. Avant ça, on ne voyait presque jamais de films français parce qu’ils étaient jugés immoraux. Il fallait également avoir 16 ans pour aller au cinéma jusqu’en 1968 et il fallait de toutes manières que ces films soient côtés « pour tous ». ça ne laissait pas beaucoup d’ouverture à des œuvres un peu plus profondes et qui pouvaient favoriser la pensée historique. C’est sûr qu’il y a encore des versions controversées de notre histoire mais il y a malgré tout une série de faits objectifs qu’on ne peut pas nier. Il y a un professeur de Chicago qui a publié un livre il y a deux ans sur la colonisation européenne en Amérique du Nord et il disait que la seule qui était réussie c’était la Nouvelle-France. Probablement à cause du fait que les colons québécois se sont assimilés très vite aux amérindiens, alors qu’aux Etats-Unis c’est le contraire, il n’y a pas eu d’assimilation. Il y a eu une division, un génocide beaucoup plus clair.

A partir de quel moment s’est développé votre intérêt pour l’histoire ?

1958. A partir du moment où j’ai entendu parler de la guerre d’Algérie. Je ne savais pas du tout ce que ça voulait dire. Qu’est-ce que ces français, aussi extraordinaires, aussi civilisés, dont on m’enseignait la culture, allaient faire en Algérie ? ça a vraiment été une prise de conscience pour sortir de mon cocon canadien français catholique comme on disait avant de dire québécois. J’avais aussi pris conscience avant d’entrer à l’Université pour étudier en littérature que nous n’étions pas français mais nord-américains. Et je commençais à me sentir beaucoup plus près de Steinbeck, de Faulkner, de tous les grands écrivains américains que de tous les écrivains français que j’aimais pourtant beaucoup. Notre culture est française à la base mais dans la vie de tous les jours elle est nord-américaine. Notre notion de territoire est très amérindienne. Tout le monde a son petit shack et dès que ça va mal, on s’y exile, on part pêcher, chasser. Quand j’ai passé un an à Paris entre 1962 et 1963, je souffrais de la proximité des gens, des lieux, j’étouffais littéralement. J’avais du mal à prendre des photos. Mais beaucoup de nos créateurs se sont exilés en France, parce que c’était invivable ici. On ne pouvait aller à l’encontre du clergé, on ne pouvait pas penser. Beaucoup de peintres notamment se sont exilés. C’est un déracinement extrêmement difficile à vivre. Certains sont devenus fous. A partir des années 60, nous avons dit non et accepté notre identité nord-américaine. Nous avons accepté d’avoir été modelés par ce pays là, physiquement et intellectuellement. Nous avons décidé de prendre des distances, par rapport à la France et par rapport à l’enseignement subit. Moi par exemple j’ai fait huit ans de pensionnat en collège classique et le jazz était interdit par exemple. C’était une musique de révolte, la musique des esclaves. On oublie bien souvent qu’il y a aussi eu de l’esclavage ici, aussi bien noir que rouge, c’est pourquoi il y a un noir qui apparaît dans les maudits sauvages, en référence.

J’imagine que cette éducation laissait peu de place à la découverte du cinéma

J’ai quand même été nourri de cinéma à cause de ma mère. Tous les étés on allait aux Etats-Unis et tous les soirs on allait au cinéma voir des films que je ne pouvais pas voir ici parce que je n’avais pas seize ans. D’autre part, il y avait des ciné-clubs dans les collèges classiques. On importait surtout les films néo-réalistes italiens comme Le voleur de bicyclette, Umberto D, les films de De Sica, de Rossillini, de Fellini, parce qu’ils représentaient aux yeux des enseignants de l’Église catholique, comme en France d’ailleurs, des valeurs spirituelles qui pouvaient contrecarrer le matérialisme américain dans lequel on avait été élevés. Tous les cinéastes de ma génération ont été fascinés par ce cinéma là. Voir autre chose que des gros films américains en couleurs, des comédies musicales, des westerns. Voir des films en noir et blanc qui parlaient des problèmes des gens ordinaires avec des acteurs non professionnels, c’était une révélation totale et ça a créé une sorte d’ouverture sur l’univers, qui jusque là nous avait été refusée. C’est pourquoi à quinze ans j’avais déjà décidé que je ferai du cinéma, sauf qu’il n’y avait aucune possibilité d’apprendre. Mon école ça a été les salles de cinéma. A Paris j’allais tous les soirs à la Cinémathèque. J’ai fait un détour par la littérature à l’Université, que je ne regrette pas du tout.

Aviez-vous vu quelques fictions historiques québécoises avant de faire Les maudits sauvages ? Aviez-vous des références cinématographiques dans le genre ?

Au Québec… J’avais vu Quelques arpents de neige de Denis Héroux… Le festin des morts. Il y avait très peu de films historiques quand j’ai commencé à faire du cinéma. Ça ne m’a pas servi de référence. Il y avait certaines séries télévisées quand on était jeunes, comme d’Iberville, Le Courrier du roi. J’ai aussi vu Les Brûlés de Bernard Devlin qui est merveilleux. C’était l’une des premières grandes séries dramatiques faites au Québec. J’ai une connaissance assez approfondie du cinéma québécois et je pense que c’est essentiel, ne serait-ce que pour ne pas reproduire.

Comment est venue l’idée de faire ce film ?

De la prise de conscience du mensonge historique dans lequel on avait été élevés. De mon appartenance individuelle, de notre appartenance collective qui avait été amputées de sources majeures et importantes. On se construit à partir de ce qu’une collectivité vit ; c’est un phénomène d’osmose. L’identité collective définit l’identité individuelle et inversement. C’est sûr qu’avec les années 60, on s’est découverts. On a découvert qu’on était pas si laids, qu’on ne parlait pas si mal, que nos ancêtres avaient vécu des choses bien différentes de ce qu’on nous avait raconté et qu’on avait aussi pris part à une sorte de génocide en rayant de la carte une civilisation admirable. Peu de gens savent que la Constitution des Etats-Unis est en grande partie copiée sur la constitution des tribus iroquoises.

C’était le goût de réinventer mon histoire. Il y avait d’autre part un musée de cire célèbre à Montréal, situé tout près de l’oratoire Saint-Joseph. Il a été détruit dans les années 80. On y retrouvait tous les héros principaux de notre enfance : Dollard des Ormeaux, Madeleine de Verchères, d’Iberville… Quand j’ai pensé aux Maudits sauvages, je l’ai conçu exactement comme une visite dans ce musée de cire de notre passé. C’est pour ça que ce sont de grands tableaux. C’est mon musée de cire à moi ! Je suis également obsédé par deux choses : les relations entre le passé et le présent, donc l’avenir et par les relations entre les générations. La tragédie la plus incroyable que l’on puisse vivre c’est qu’il n’y ait pas de liens entre les ancêtres et la jeune génération. J’ai fait plusieurs films à ce propos, comme Les fleurs sauvages. C’est un peu la même chose avec Les Maudits sauvages. Je précise bien que c’est un film presqu’historique, qui se déroule de 1760 à 1970. Je voulais mêler les deux époques pour nous demander si les choses avaient vraiment changé depuis.

Si vous décidez de mettre en relation le passé et le présent c’est que vous y trouvez des connexions.

Oui. Ça rejoint un peu tout ce que je viens de dire. Je voulais mettre en valeur ce qu’on a vécu à travers la culture amérindienne, comment la religion catholique a interprété l’histoire, les valeurs. Quand les anglais ont pris possession de la Nouvelle-France, ils ont fait une entente avec le clergé. L’entente stipulait que les anglais accordaient une très grande liberté au clergé sous couvert que les français se tiennent tranquilles. Si bien que plus tard l’Église a pris parti contre les Patriotes, pour ne pas déranger l’entente bien sûr. De ce fait, les Canadiens français ont toujours été « protégés » contre toutes les influences étrangères. Quand je raconte mes années de pensionnat à mes enfants, ils n’en reviennent pas d’apprendre à quel point nous étions ignorants de ce que nous étions, de ce que nous pouvions devenir.

Qu’est-ce qui a déterminé le choix des personnages représentés dans le film ?

Les personnages me sont venus naturellement. J’ai toujours voulu donner une double valeur à mes personnages : individuelle et symbolique. Thomas Hébert le coureur des bois de mon film se représente et représente le Québec. C’est un peu la majorité qui a évolué dans le sens du coureur des bois, de l’anarchiste vivant en dehors des lois, et faisant ses petites affaires dans le dos de l’Église catholique. L’abbé Frelaté symbolise tout le côté mystique de nos martyrs. Tecakouika est inspirée du personnage historique. Elle a été notre première « sainte ». Américains et français la revendiquent, puisque les frontières étaient très mouvantes à ce moment-là. Elle symbolise évidemment son peuple qui avait été réduit au silence, placé dans des réserves, et qui y est toujours. L’aristocrate française correspond à toute la bourgeoisie française retournée au pays. Curieusement, le film que je m’apprête à tourner l’année prochaine est une version dramatique de l’histoire des religieuses au Québec depuis 1636. C’est une série en 16 tableaux, qui se termine de nos jours. Le groupe de comédiennes avec lequel je travaille a découvert l’histoire du Québec qu’elles ignoraient complètement. Elles ont au moins vingt ans de moins que moi et n’ont pas vraiment idée du climat social et religieux de l’époque. Vous savez, il y a une partie du clergé qui est venu en Nouvelle-France par soif de mysticisme, mais il y a également une autre partie d’entre eux qui cherchait à fuir l’influence de l’Église catholique française. Ça encore c’est une partie de la petite histoire du Québec.

Je suis toujours étonnée d’entendre parler de petite histoire, comme si cela servait de prétexte pour écarter la discussion. 400 ans ce n’est quand même par rien, sans compter que cela a été plutôt mouvementé.

Je ne sais pas si vous avez entendu parler d’une série radio-dramatique de Radio-Canada, écrite par Serge Bouchard. Une série remarquable qui mettait en lumière des personnages héroïques totalement inconnus. Le fait est que certains de ces héros l’ont été en dehors du Québec, et que dès lors que ce genre d’évènements advenait en dehors de nos frontières, l’Église catholique s’en détournait. Ce qui ne se passait pas au Québec n’avait aucune importance. Il fallait ne rien déranger, ne pas chercher à s’enrichir. Il fallait vivre discrètement. L’Église Catholique voulait que l’on reste un petit peuple soumis, et qu’on n’accède pas aux pêchers qu’étaient l’argent et le cinéma. D’ailleurs, nous avons longtemps dit « aller aux vues » au Québec, savez-vous pourquoi ? C’est parce que la première loi de censure s’appelait la « Loi sur les vues animées », en 1911. Et c’était l’expression populaire, « aller aux vues ».

Vous êtes allé au Festival de Cannes avec Les Maudits Sauvages ?

Non, je n’y suis pas allé, mais le film y a été présenté. Vous savez, on faisait rire de nous ici. C’était l’hégémonie du cinéma hollywoodien alors pour nos petits films, on ne nous payait même pas un billet d’avion. Je suis allé à Cannes pour la première fois en 1973, avec « Les dernières fiançailles », parce que j’étais en tournée en France et en Suisse pendant trois mois avec neuf de mes films. Mais j’avais déjà eu sept films à Cannes sans y être jamais allé. Je sais que le film avait été plutôt bien reçu, notamment par l’Humanité.

Est-ce qu’il a eu une exploitation en salles en France après ça ?

Non, non. Et ici c’était la catastrophe totale. La critique a été majoritairement catholique jusque dans les années 70, après ça elle est devenue marxiste. Mes films ne sont jamais entrés dans aucune de leurs patentes. Évidemment quand vous pensez à l’Abbé Pierre Frelaté, ça n’a rien pour plaire à la critique catholique qui l’a démoli. La critique marxiste également. C’est en Italie qu’il a eu le plus de succès, étrangement. De toutes façons sans les pays étrangers, La France, l’Italie, l’Écosse, la Suisse, l’Australie, je n’aurais jamais fait plus d’un film. Mes films ont toujours été systématiquement démolis au Québec, sauf Les fleurs sauvages, parce qu’il est sorti après avoir gagné le prix de la critique à Cannes.

J’ai lu de bonnes critiques des Maudits sauvages, mais sans doutes des critiques plus récentes.

Ce film a refait surface dans les années 90. Il intrigue beaucoup les gens. Il est assez actuel, délinquant. Et surtout on ne pourrait plus le faire maintenant. Le cinéma est trop standardisé, sur-scénarisé. Ce temps-là est fini.

Pensez-vous justement qu’il soit évident de soumettre un projet de film qui traite de l’histoire au Québec ? Y a-t-il selon vous des formes de censure ou d’auto-censure ?

J’ai déjà eu un cas de censure directe à propos d’un film sur les collèges classiques, d’après un scénario de Michel Garneau. C’était remonté jusqu’au ministère de la Culture. Le ministère s’opposait à notre vision des collèges et d’ailleurs aucun film n’a été fait sur ce sujet là. Voyez-vous il y a encore une majorité de décideurs en place dans les institutions, chez les télédiffuseurs, qui sont issus de la dernière génération de curés si on veut, la génération d’intellectuels qui a fini son cours classique dans les années 50. Et ces gens là sont les héritiers de cette mentalité qui n’aime pas qu’on remue un peu de vase, qui préfèrent que l’histoire reste malgré tout ce qu’elle est. C’est pourquoi il y a toujours une réticence à produire certains films comme Les Ordres, par exemple, qui a connu beaucoup de difficultés. C’est une série de hasards qui a rendu possible mon petit film sur les religieuses, qui s’appelle La route des cieux. Ce film se compose d’une série de tableaux, de portraits, sur des religieuses, à une époque donnée. Il y a tellement de choses qu’on a oubliées. Pour exemple : après la Conquête, les Ursulines étaient les sœurs enseignantes. Elles enseignaient à des amérindiennes bien sûr mais la majorité des élèves étaient des filles issues de la bourgeoisie. Dix ou quinze ans après la Conquête, les couvents ont commencé à se vider. Les Ursulines ont constaté que les jeunes filles étaient désireuses d’apprendre l’anglais pour épouser des jeunes garçons anglais de bonne famille. Alors elles ont commencé à enseigner l’anglais, la culture anglaise, et les couvents se sont de nouveau remplis. C’est intéressant  parce qu’il y a plein de petits tournants comme ça dans l’histoire, qui s’inscrivent dans une logique d’évolution. Alors ça ce sera un petit tableau par exemple. On verra si je suis censuré ! J’attends encore des réponses pour les financements. Je ne vais pas à Téléfilm Canada, c’est un film à 250 000$. Je vais aux deux Conseils des Arts et à la SODEC. Ce sera un petit film, comme je les aime.

Avez-vous l’impression que les québécois connaissent et s’intéressent à leur histoire ?

Malheureusement non. Ne serait-ce que parce que l’enseignement de l’histoire au secondaire a été inexistant. Si on n’a pas d’identité collective, on n’a pas d’identité individuelle, je l’ai souvent dit. Ça n’a rien de chauvin de penser ça, mais on ne peut pas faire pousser d’artichauts dans l’arctique. Il y a donc des réalités géographiques, sociales et politiques. Je vais vous donner un exemple. J’ai fait mon premier film fin 64, j’avais cinq jours et 500 $. Le deuxième jour de tournage, il faisait -35°. Les comédiens et la caméra gelaient. La seule façon que j’ai trouvée c’était de réchauffer caméra et comédiens à l’intérieur, puis on sortait tourner jusqu’à ce que la caméra gèle et s’arrête. Je me suis rendu compte au montage que la nécessité m’avait inventé un style que je n’avais pas cherché. Ça c’est un exemple pour vous dire à quel point les conditions dans lesquelles on vit influencent la création qu’on fait. Les Cahiers du cinéma ont inventé le terme « humour blanc » pour qualifier ce film. Mais je n’ai rien inventé moi, c’est la réalité qui m’a inventé un style. Ma part de création, ça a été de m’en rendre compte. C’est pour ça que notre identité est définie par nos conditions générales de vie.

J’ai l’impression qu’après les deux référendums, et surtout après le deuxième, on abandonne progressivement l’histoire.

C’est très ambigu. Comme est ambiguë la réforme de l’enseignement du français. Personne n’y comprend rien… Comme est ambiguë la réforme des méthodes d’enseignement général. On dirait que tous ces pédagogues qui conçoivent des programmes d’enseignement sont complètement déracinés, en dehors de toute réalité. Logiquement, on devrait se dire au niveau de l’enseignement de l’histoire que la montée du Parti Québécois, la montée de nationalismes, auraient fait que l’on enseigne davantage et mieux l’histoire. Mais non. Ça ne s’est pas fait et on ne sait pas pourquoi. Surtout après la prise de conscience des années 60, de nos origines, de nos caractéristiques propres, ne serait-ce qu’au niveau de notre langue, de notre écriture, de notre cinéma. Au lieu d’ouvrir l’enseignement de l’histoire et de la création ça s’est refermé. Et nous cherchons encore pourquoi.

D’autant plus que l’enseignement est une compétence provinciale…

Exactement !

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