vendredi 30 janvier 2009

Canada: Une histoire populaire


L'équipe de tournage
(Société Radio-Canada-CBC)

Genre: Biographie historique
Langue: Français et anglais
Format: 120 min
Épisodes: 16
Diffusion: Les neuf premiers épisodes ont été diffusés au cours de l'automne 2000 et de l'hiver 2001. Les sept derniers épisodes ont été présentés à l'automne 2001, puis durant l'hiver 2002.
Budget: $ 25 000

Réalisation: Hubert Gendron à Montréal et Gordon Henderson à Toronto (supervision)
Scénario: Laine Drewery
Recherche historique: Ramsay Cook, Jean-Claude Robert et Olive P. Dickason
 
Production: CBC et Radio-Canada

Historique du projet:

En 1996, Mark Starowicz, réalisateur reconnu pour ses émissions documentaires radiophoniques et télévisuelles à la CBC, a l’idée de créer une série sur l’histoire du Canada. Il souhaite réaliser une série qui changera la perception qu’on a de l’histoire du Canada.

« Bien des Canadiens et des Canadiennes croient que leur histoire est terne et même ennuyeuse comparée à celle des Américains, qui ont connu la révolution et la guerre civile. Leur histoire est présentée comme une épopée », explique M. Starowicz.

Pour réaliser Le Canada : une histoire populaire, il fallait absolument obtenir la collaboration des deux réseaux, Radio-Canada et la CBC. Lorsque Mark Starowicz présente son projet à Claude Saint-Laurent, le directeur général de l’information à Radio-Canada, il lui propose d’abord de créer deux séries, une pour le public québécois et une autre pour le Canada anglais. M. Saint-Laurent refuse : « Pour une fois, je voulais qu’on raconte la même histoire aux Québécois et aux Canadiens anglais. Ceci voulait dire qu’on aurait un seul producteur délégué et des équipes mixtes à Montréal et à Toronto. »

Le projet de Mark Starowicz devient la plus importante coproduction jamais entreprise par Radio-Canada et la CBC. Une équipe expérimentée coordonne le projet sous sa direction : deux réalisateurs-coordonnateurs, Hubert Gendron à Montréal et Gordon Henderson à Toronto, deux rédacteurs en chef, Louis Martin et Gene Allen, et un conseiller éditorial, Mario Cardinal. Quinze équipes de production, sont mises en place à Montréal et à Toronto, chacune devant produire, en français et en anglais, un épisode de deux heures. Le coût total du projet est de 25 millions de dollars.

Le principal enjeu de cette série consiste à raconter une histoire du Canada proche des gens, peu importe leur langue ou leurs origines. Pour relever ce défi, l’équipe décide de donner la parole aux personnes qui l’ont vécue. Ce sont leurs observations, leurs commentaires qui témoignent de leur expérience.

« Tout ce que disent les comédiens est authentique et provient de journaux intimes, de lettres ou de documents officiels de l’époque » , explique Hubert Gendron, réalisateur-coordonnateur. « Nous voulions que le public ait l’impression de vivre cette époque. Nous entendons les impressions des personnages, leurs opinions, leurs préjugés. Nous n’avons pas réécrit, ni nettoyé l’histoire. »

Pourtant, en trente heures, il n’est pas possible de raconter l’histoire du Canada dans ses moindres détails. Chaque province a son histoire, ses mythes et sa vision du Canada. Selon Gordon Henderson, réalisateur-coordonnateur, le seul moyen de raconter cette histoire sans prendre parti est d’adopter une approche journalistique. « En tant que journaliste, nous n’avons pas d’objectifs politiques », dit M. Henderson. « Nous avons retenu les aspects historiques les plus intéressants sur le plan humain. »

Francophones et anglophones font partie des mêmes équipes de production, et avant de prendre une décision, on discute longuement afin d’en arriver à un consensus. « Les débats se sont déroulés dans le plus grand respect mutuel, la réalité des faits et leur importance servant de référence ultime », explique Mario Cardinal, conseiller éditorial.

L’expertise de trois historiens canadiens réputés, Ramsay Cook, Jean-Claude Robert et Olive P. Dickason, a été sollicitée tout au long du projet.

Jean Claude Robert, directeur du département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal et principal conseiller de la série, croit que l’objectif a été atteint. « Au Canada, il y a au moins trois visions de l’historiographie : celle des anglophones, celle des francophones et celle des Amérindiens. Bientôt, il y aura aussi celle des immigrants, ceux qui ne sont ni francophones, ni anglophones, ni Amérindiens. Il s’agit de rendre compte de ces différentes interprétations. Je pense qu’on est parvenus à concilier au moins deux des principaux points de vue et c’est une réussite. »

Source: Radio-Canada

Cette super-production annoncée en fanfare fut évidement attendue de pied ferme par les journalistes dont l'accueil fut souvent tiède et parfois franchement virulent. Extraits:

« Le problème, ce n’est pas l’Histoire, c’est le traitement, l’approche canonique, le ton d’homélie adopté et le rytme non pas indolent mais engourdi du récit. Cette façon d’avoquer le passé à travers le discours aseptisé de personnages historiques, de filmer en plans larges dépersonnalisés, dépersonnalisant et surtout non compromettants, de saisir les paysages neutres pour meubler le vide, de nous montrer des bouts de bois, des raquettes en babiche, des canoës qui descendent des rivières ; tout ça est d’un pénible consommé.

(…) C’est une série qui affirme, avec fierté même, avoir volontairement exclu tout jugement sur le passé. Une série née des bonnes intentions et des ambitions unificatrices d’un ancien président de Radio-Canada-CBC qui, après une période de crises et de compressions imposées par le gouvernement, a voulu montrer que la télévision publique avait encore un rôle à jouer dans ce pays. Une série diffusée en anglais et en Français, qui prétend à une seule et même vision de l’Histoire[1]. »

« Dans l’Histoire populaire du Canada, il n’y a pas d’auteurs. Il n’y a qu’un comité de journalistes qui tentent de dessiner un pays qui finit par ressembler à un chameau. Le problème de ces gens-là, c’est qu’ils n’ont aucun point de vue sinon celui du rouleau compresseur. Aussi nous livrent-ils tous les évènements de la même manière monocorde, sans relief, ni aspérités ni temps forts. Tout est tellement pareil que tout finit par s’annuler[2] »

« Le conseiller à la rédaction de la série Le Canada : une histoire populaire, Mario Cardinal, écrit sans rire (« Ras le bol des procès d’intention », La Presse, Montréal, 12 février 2001, p. A13) que la série n’a pas encore été prise en défaut sur le contenu, l’objectivité ayant été au cœur de la démarche de ses concepteurs. Vraiment ? Quel choix objectif que celui de ne montrer, dans le crucial épisode 4 sur la Conquête, que le côté bienveillant du pouvoir britannique à l’égard des Anciens Canadiens, une fois finies les horreurs de la guerre ! Lors d’une émission de radio à la CBC, le 4 novembre, l’historien Jean-Pierre Wallot, ancien président de la Société royale du Canada, admit qu’il n’était pas normal qu’on ne touche pas mot de la Proclamation royale de 1763 dans cet épisode sur la Conquête. Un autre historien, Donald Fyson, de l’Université Laval, écrivait le 22 novembre dans Le Devoir que la série pouvait être accusée de présenter une vision tronquée de l’histoire du Canada[3] ».

Le conseiller éditorial de la série s'offusqua de certains propos, et le débat était lancé par journaux interposés. Soulignons tout de même que certains sympathisants de la série, comme la romancière Micheline Lachance, s'exprimèrent également. Extraits:

« Le Canada : une histoire populaire, ce n’est pas du cinéma. C’est un documentaire. Journalistique. (…) Sans vouloir diminuer le mérite et la qualité de ce qu’a fait Gilles Carle, nous avons choisi au contraire d’éviter les expressions de points de vue personnels. C’était une façon justement, pour nous, de respecter le principe de l’objectivité journalistique.

De plus, il n’y a pas que les procès d’intention qui agacent. Il y a surtout, en fait, le silence des chroniqueurs de télévision autour de cette série. La diffusion de 60 heures de télévision, 30 heures à chacun des réseaux, est en soi un événement médiatique. Un investissement de 25 millions dont une très large partie provient des fonds publics. Le recours à une technologie télévisuelle exceptionnelle, jusque là peu utilisée. Des dizaines de comédiens qui se mettent dans la peau de personnages historiques. Des journalistes et des historiens qui décident de tenter, ensemble, une aventure qui ne s’est vue nulle part au monde à ce jour : raconter à la télévision l’histoire d’un pays du début à la fin. Le défi d’une coproduction entre deux réseaux qui ne parlent pas la même langue, qui ne puisent généralement pas aux mêmes sources, dans un contexte politique dont on sait les embuches…

Rien de tout cela n’a intéressé la grande presse. Un seul article digne de ce nom : celui de Paul Cauchon dans Le Devoir, début septembre. Pur le reste, le silence, mis à part ces coups de griffe que nous recevons de temps en temps et qui relèvent davantage de la hargne que de l’esprit critique.[4] »

« Plutôt sympathiques aux initiatives des amateurs, les historiens tirent à boulets rouges sur Radio-Canada et son ambitieuse série de 35 millions de dollars. La raison ? La télévision d’État a confié cette réalisation à ses journalistes plutôt qu’aux historiens, relégués au rang de conseillers. « On nous cache et c’est blessant, dit Denis Vaugeois, qui déplore l’absence d’analyse. C’est bien de citer le texte d’un marchand, mais sans historien pour lui donner un sens, on ne le comprend pas. » (…) Cette querelle de chapelle n’atteint pas le grand public. En moyenne, 600 000 téléspectateurs francophones ont regardé chacun des épisodes présentés jusqu’à maintenant, soit le double de l’auditoire habituel du dimanche soir à Radio-Canada lorsqu’on présente un dossier. Au Canada anglais, les cotes d’écoute atteignent des records. Certes, les Acadiens auraient préféré qu’on parle davantage de la déportation et les québécois déplorent qu’on ait « oublié » d’Iberville, mais tout le monde a fait des découvertes.

(…) La chaine Historica a multiplié les sondages pour tracer le profil de l’homo televisus épris d’histoire. Deux fois sur trois, il s’agit d’un homme. Agé de 25 à 54 ans, il est très scolarisé et dispose de revenus supérieurs à la moyenne, mais avoue ne pas connaître son passé.[5] »



[1] Lachance, Micheline, « Histoire d’une passion », L’Actualité, 15 mars 2001, p. 58-62.

 


[2] Cardinal, Mario, « Ras le bol des procès d’intention », La Presse, Montréal, 12 février 2001, p. A13.

 


[3] Dufour, Christian, « La foi inébranlable de Mario Cardinal », La Presse, Montréal, 19 février 2001.

 


[4] Petrowski, Nathalie, « Recherche désespérément Mel Gibson », La Presse, Montréal, 16 janvier 2001, p. 03.

 


[5] Nuovo, Franco, « Le Canada : histoire plate », Le journal de Montréal, 11 janvier 2001.


Lien vers le site consacré à la série: http://www.radio-canada.ca/histoire

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